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Introduction

Le lactose est un disaccharide présent dans le lait de presque tous les mammifères. Lorsqu’ingéré, le lactose est hydrolysé en monosaccarides absorbables, le glucose et le galactose, par l’enzyme intestinale lactase1. Pour la majeure partie de la population mondiale, l’expression de la lactase est limitée aux jeunes enfants et devient très faible ou absente chez l’adulte. Par contre, pour les populations dérivées du nord de l’Europe, une sélection génétique positive a permis la persistance du gène de la lactase à l’âge adulte chez la majorité des individus2. Malgré tout, au cours de leur vie, environ 6 à 22% de ceux-ci deviennent incapables d’hydrolyser correctement le lactose ingéré3. Cette perte peut être d’origine génétique ou due à toute pathologie qui endommagerait la muqueuse intestinale (ex. maladie de Crohn). Une déficience en lactase conduit à la malabsorption du lactose, une condition qui n’est pas nécessairement problématique. Par contre, lorsque cette malabsorption est accompagnée de symptômes, on parle alors d’intolérance au lactose et des actions correctrices doivent être envisagées pour régler le problème. Les principaux symptômes ressentis lors de ce type d’intolérance sont la diarrhée osmotique ainsi que les ballonnements dus au métabolisme bactérien du lactose non-digéré.

Plusieurs moyens permettent de détecter une intolérance au lactose chez un patient. La plupart du temps, une restriction complète en lactose permet d’éliminer les symptômes en quelques jours. Cependant, cette approche est parfois trompeuse vu la présence non-suspectée de lactose dans plusieurs aliments ou breuvages consommés. Des tests faisant appel au laboratoire sont donc disponibles afin de vérifier l’origine des symptômes intestinaux du patient. Tout d’abord, certains considèrent que la méthode de référence serait la mesure de l’activité de la lactase sur une biopsie de la muqueuse duodénale4. Cette méthode invasive est toutefois très peu utilisée. Deux autres méthodes sont beaucoup plus répandues dans les laboratoires, soit le test respiratoire à l’hydrogène ainsi que le test de tolérance au lactose (TTL)5. Dans ces deux cas, le patient ingère d’abord 50 grammes de lactose, ce qui correspond environ à la quantité de sucre retrouvée dans 1 litre de lait. Par la suite, les niveaux d’hydrogène expiré ou les niveaux de glucose sérique sont mesurés à différents temps suivant l’ingestion du lactose. Une augmentation inappropriée des niveaux d’hydrogène ou de glucose, en plus de la présence de symptômes intestinaux suite à l’ingestion du lactose, permettent alors au médecin d’établir le diagnostic d’intolérance au lactose. Pour l’instant, les études ne démontrent pas de façon unanime la supériorité de l’un ou l’autre des tests et le choix de ceux-ci semble principalement être dicté par la disponibilité des appareils de mesure6, 7. Ainsi, de nombreux centres hospitaliers au Québec offrent le TTL puisqu’il n’implique que de simples analyses du glucose sérique.

Puisque le principe du TTL consiste à détecter une augmentation significative de la glycémie suite à la digestion du lactose par la lactase intestinale, plusieurs prélèvements sanguins peuvent être effectués à différents temps suivant l’ingestion de lactose (Figure 1). Malgré la grande utilisation de ce test, ces temps de prélèvement demeurent cependant non standardisés et ont par conséquent une utilité diagnostique questionnable. Une étude a donc été conduite afin de déterminer quels sont les temps de prélèvement les plus pertinents pour le diagnostic de l’intolérance au lactose, en ayant comme hypothèse que certains temps pourraient être éliminés sans affecter l’efficacité diagnostique du TTL.

Figure 1
Figure 1. Exemple typique de la fluctuation de la glycémie chez un patient normal et chez un patient intolérant au lactose, lors d’un TTL. Le patient est considéré comme normal si son élévation de glycémie dépasse un seuil prédéterminé, à l’un ou l’autre des temps de prélèvement.

Méthodes

La présente étude a été effectuée grâce à l’analyse rétrospective des données offertes par le CSSS de la Haute-Yamaska (H-Y) et le CSSS Richelieu-Yamaska (R-Y), recueillies sur une période de 24 mois entre les années 2012 et 2014. Ces données comprenaient, pour les patients ayant subi un TTL durant cette période, les valeurs des glycémies aux différents temps de prélèvement inhérents à chacun des centres. Les patients ayant une glycémie supérieure à 7 mmol/L au temps 0 ont été exclus des analyses. Les résultats ont été obtenus en vérifiant l’effet qu’aurait eu l’absence de certains temps de prélèvement sur l’interprétation finale du TTL.

Résultats/Discussion

Non-uniformité des protocoles de TTL
Plusieurs centres hospitaliers du Québec qui offrent le TTL ont été contactés et ont généreusement partagé certaines informations concernant leur protocole et leur nombre de demandes annuelles (Tableau 1). Il est très intéressant de constater la variabilité quant au nombre de prélèvements effectués suite à l’ingestion de lactose, variant de 3 à 7 ponctions, ainsi que la diversité au niveau de la durée du TTL. Ces discordances questionnent la pertinence de certains temps de prélèvement et mettent en évidence la nécessité de standardiser ce test. De plus, le tableau souligne la variabilité du nombre de demandes de ce test selon les diverses régions recensées.

Tableau 1
Tableau 1. Informations relatives au test de tolérance au lactose de quelques centres hospitaliers. Le nombre de ponctions, les temps de prélèvement effectués ainsi que le volume d’analyse varient considérablement d’un établissement à l’autre.

Augmentation glycémique et temps de prélèvement
Tout d’abord, afin de connaître la réponse glycémique normale des patients suivant l’ingestion de lactose, seules les données provenant de patients classés par les centres comme étant « tolérants au lactose » (normaux) ont été utilisées. Il a premièrement été observé que l’augmentation maximale de la glycémie se faisait majoritairement à 30 minutes suivant l’ingestion de lactose (Figure 2). Les données provenant du CSSS R-Y précisent aussi que l’augmentation de glycémie maximale, dans tous les cas, a été observée durant les 90 premières minutes. Ces observations soulèvent donc un questionnement quant à l’utilité des temps de prélèvement supérieurs à 90 minutes, sachant qu’ils n’apportent possiblement aucun bénéfice supplémentaire pour le diagnostic. Les centres pour qui le TTL comprend des prélèvements au-delà de 90 minutes suivant l’ingestion de lactose seraient d’ailleurs en mesure de vérifier facilement ces hypothèses grâce à leurs banques de données, advenant le cas où ils voudraient diminuer le temps total que prend le TTL.

Figure 2
Figure 2. Graphiques de distribution montrant la fréquence des glycémies maximales à différents temps de prélèvement, chez des patients normaux. A) CSSS Richelieu-Yamaska et B) CSSS de la Haute-Yamaska.

Une analyse de données a par la suite été effectuée afin de vérifier à quels temps de prélèvement une augmentation de glycémie était suffisante pour atteindre le seuil prédéterminé de normalité (spécifique à chacun des centres), sans que celle-ci corresponde obligatoirement à l’augmentation de glycémie maximale du patient (Figure 3). Les données démontrent donc que dans 97 à 99% des cas, les élévations de glycémie atteignant le seuil de normalité arrivent à être détectées au cours de la première heure. Ces analyses, faites chez des patients normaux, suggèrent donc qu’un TTL d’une durée maximale d’une heure permettrait de détecter la quasi-totalité des élévations significatives de glycémie.

Figure 3
Figure 3. Graphiques de distribution montrant la fréquence des glycémies atteignant le seuil de normalité, à différents temps de prélèvement. A) CSSS Richelieu-Yamaska, seuil >1,1 mmol/L et B) CSSS de la Haute-Yamaska, seuil >1,7 mmol/L.

Pertinence des différents temps de prélèvement
Les données précédentes, provenant de patients tolérants au lactose, suggèrent donc que le TTL pourrait être raccourci puisque les augmentations significatives de glycémie surviennent principalement lors de la première heure. Malgré tout, une question demeure : combien et surtout à quels temps devraient être effectués les prélèvements durant cette première heure? La grande variabilité de protocole entre les centres hospitaliers (Tableau 1) dénote à nouveau l’importance de cette question et le besoin de standardisation.

Une analyse de données a donc été effectuée afin de déterminer quel serait le protocole de TTL qui demanderait le moins de prélèvements tout en conservant des critères de spécificité et de sensibilité comparables au protocole original (Tableau 2). L’exercice, qui a été effectué avec les données de deux centres hospitaliers différents, consistait à simuler les impacts de l’absence d’un ou plusieurs prélèvements sur l’interprétation du test. Ainsi, en considérant l’interprétation du TTL originale comme la référence, il a été possible d’attribuer des quantités de vrai positif (VP), vrai négatif (VN), faux positif (FP) et faux négatif (FN) pour chacune des simulations évaluées. Par le fait même, il a été possible de prédire quelles seraient la sensibilité et la spécificité du test raccourci par rapport au test original.

L’analyse des données provenant du CSSS R-Y démontre que le retranchement de deux temps de prélèvement n’aurait mené à aucun mauvais classement et que ce TTL réduit à 60 minutes aurait eu, par conséquent, une sensibilité et une spécificité de 100% par rapport au protocole original. L’analyse des données du CSSS de la H-Y, chez qui l’interprétation du TTL se fait par seuils multiples, a fourni des informations tout aussi intéressantes. D’abord, comme il était attendu, un raccourcissement du test à 60 minutes a permis d’obtenir pratiquement la même sensibilité et spécificité par rapport au test original, soit 100% et 99,7% respectivement. De plus, les données recueillies par ce centre ont précisé que le temps de prélèvement de 15 minutes augmentait considérablement la spécificité du TTL. En effet, pour certains patients, l’ingestion de lactose mène à une glycémie qui est rapidement et brièvement augmentée au-dessus du seuil décisionnel pour redevenir à son état de base en moins de 30 minutes. L’omission du prélèvement de 15 minutes ne permet pas de voir cette réponse glycémique et, par conséquent, suggère faussement une intolérance au lactose. Finalement, le temps de 45 minutes semble augmenter légèrement la spécificité du test, mais de façon très modeste. Ces données démontrent donc qu’un TTL court et spécifique pourrait être obtenu en utilisant les temps de prélèvement à 0, 15, 30 et 60 minutes suivant l’ingestion de lactose.

Tableau 2
Tableau 2. Résultats des analyses de simulation démontrant les conséquences d’un raccourcissement du TTL sur la spécificité. *Sensibilité et spécificité par rapport au TTL original.

Interprétation selon des seuils uniques ou multiples
La variabilité des protocoles de TTL concerne les temps de prélèvement, mais aussi l’interprétation même du test. Par exemple, au CSSS R-Y, un seuil d’augmentation de glycémie unique est fixé à 1,1 mmol/L. Ainsi, les patients sont considérés comme étant tolérants au lactose si, à l’un ou l’autre des temps de prélèvement, la glycémie dépasse 1,1 mmol/L. Par contre, au CSSS de la H-Y, l’interprétation du TTL se fait plutôt grâce à deux seuils prédéterminés qui définissent trois interprétations différentes; une augmentation de glycémie supérieure à 1,7 mmol/L signe une tolérance au lactose, une augmentation inférieure à 1,1 mmol/L signifie que le patient est intolérant et des valeurs intermédiaires rendent le test non-concluant.

Afin d’estimer l’impact concret de cette variabilité des seuils, une simulation d’interprétation a été effectuée en utilisant les données provenant du CSSS de la H-Y (Tableau 3). Ainsi, en utilisant la même série de données, il est possible d’observer que le classement des patients est considérablement différent selon le mode d’interprétation du TTL. Par contre, cette courte analyse ne permet évidemment pas de déterminer quelle méthode serait cliniquement la plus sensible et/ou la plus spécifique. En effet, puisque la littérature fournit peu d’informations à ce sujet, seule une étude exhaustive qui comparerait les données du TTL au diagnostic clinique final des patients permettrait de définir quel seuil et quel type d’interprétation serait le meilleur choix.

Tableau 3
Tableau 3. Simulation montrant les conséquences de l’utilisation de seuils de référence différents (unique ou multiples) pour une même série de données (CSSS de la Haute-Yamaska).

Conclusion

La présente analyse de données suggère qu’un TTL raccourci à 3 (0, 30 et 60 minutes) ou 4 prélèvements (0, 15, 30 et 60 minutes) conserverait une très bonne spécificité lorsqu’un seuil d’augmentation de la glycémie 1,1 mmol/L ou moins est utilisé pour définir une intolérance au lactose. Les quelques centres qui offrent actuellement le prélèvement de 45 minutes pourraient continuer à utiliser ce temps ou omettre celui-ci, en acceptant une légère perte de spécificité. Cette conclusion confirme donc des études récentes qui suggéraient aussi l’utilisation d’un TTL raccourci comme outil diagnostique8, 9.
Finalement, cet article démontre la facilité avec laquelle un centre hospitalier peut vérifier la pertinence de ses différents temps de prélèvement simplement en utilisant ses propres données antérieures. Ceci favorise une adaptation du TTL qui est non-négligeable dans un contexte où les centres de prélèvement sont régulièrement saturés et où le temps de disponibilité des usagers et du personnel est très limité.

Remerciements

Nous remercions le Dr Michel Bouthillier pour sa coopération lors de la récolte de données ainsi que tous les centres ayant fourni des informations concernant leur protocole de TTL et leur volume d’analyse annuel.

Références

  1. Matthews SB, Waud JP, Roberts AG, et al. Systemic lactose intolerance: a new perspective on an old problem. Postgraduate medical journal. 2005;81(953):167-173.
  2. Lomer MC, Parkes GC, Sanderson JD. Review article: lactose intolerance in clinical practice--myths and realities. Alimentary pharmacology & therapeutics. 2008;27(2):93-103.
  3. Harrington LK, Mayberry JF. A re-appraisal of lactose intolerance. International journal of clinical practice. 2008;62(10):1541-1546.
  4. Di Rienzo T, D'Angelo G, D'Aversa F, et al. Lactose intolerance: from diagnosis to correct management. European review for medical and pharmacological sciences. 2013;17 Suppl 2:18-25.
  5. Law D, Conklin J, Pimentel M. Lactose intolerance and the role of the lactose breath test. The American journal of gastroenterology. 2010;105(8):1726-1728.
  6. Hovde O, Farup PG. A comparison of diagnostic tests for lactose malabsorption--which one is the best? BMC gastroenterology. 2009;9:82.
  7. Ghoshal UC, Kumar S, Chourasia D, et al. Lactose hydrogen breath test versus lactose tolerance test in the tropics: does positive lactose tolerance test reflect more severe lactose malabsorption? Tropical gastroenterology : official journal of the Digestive Diseases Foundation. 2009;30(2):86-90.
  8. Dominguez Jimenez JL, Fernandez Suarez A. Can we shorten the lactose tolerance test? European journal of clinical nutrition. 2014;68(1):106-108.
  9. van Rossum HH, van Rossum AP, van Geenen EJ, et al. The one hour lactose tolerance test. Clinical chemistry and laboratory medicine : CCLM / FESCC. 2013;51(9):e201-203.